Décidément la politique italienne navigue dans des eaux très troublées depuis les élections de février 2013.

 Et le dernier acte de cette pièce – à savoir la démission que le président du gouvernement Enrico Letta a remise vendredi 14 février au Chef de l’Etat, Giorgio Napolitano –  ne fait qu’éloigner encore plus l’exécutif de la confiance des citoyens. Mais comment est-on arrivé à cette décision? Faisons un petit récapitulatif de cette année de vie du gouvernement italien.

Les élections du 23 et 24 février 2013 n’ont pas donné une majorité claire, raison pour laquelle Enrico Letta a été chargé, après la démission de Pierluigi Bersani, leader du Partito Democratico(PD) au moment des consultations, de former un gouvernement de larghe intese, soutenu par le PD de centre gauche et le Popolo della libertà (PDL), parti de centre droite guidé par Silvio Berlusconi. Ce gouvernement, qui sur le moment a donné l’espoir de pouvoir guider le pays de façon stable, a tout de suite rencontré deux grosses difficultés: d’un côté l’opposition très ferme et rigide du Movimento 5 Stelle, qui, depuis le début a considéré ce gouvernement comme la démonstration de la corruption des élites politiques du PD et du PDL, et la preuve évidente de l’inciucio, la magouille entre gauche et droite, disposées à tout pour rester au pouvoir; de l’autre réformer le pays en faisant coopérer les deux partis antagonistes, PD et PDL.  Encore une fois, la classe politique italienne a démontré son incapacité à parvenir aux compromis nécessaires à la bonne gouvernance de l’Etat. Le gouvernement s’est fatigué à lancer des reformes, si nécessaires dans un pays fortement touché par la crise, mais la plus importante d’entre elles (celle qui devait changer le system électoral) n’a jamais vu naissance. Dans ce climat de difficulté extrême de l’exécutif, toujours menacé par sa propre précarité et accusé de manque de légitimité par l’opposition, est tombée la condamnation (en premier dégré) de Silvio Berlusconi pour incitation à la prostitution dans l’affaire Rubygate et la condamnation définitive pour fraude fiscale dans l’affaire Mediaset. Les semaines qui suivent sont les plus difficiles pour la politique italienne: Berlusconi provoque la démission des ministres appartenant à sa formation et oblige le gouvernement à demander la confiance du Sénat. Finalement le gouvernement Letta a survécu à cette tempête mais en est sorti une nouvelle fois fragilisé, et Angelino Alfano, vice-premier ministre du gouvernement de coalition, a rompu avec Berlusconi, en provoquant une scission à droite.

Berlusconi a ressuscité le parti Forza Italia, le nom de son premier parti avec lequel il était entré en 1994 dans la scène politique italienne, et a retiré son soutien au gouvernement Letta. Vingt jours plus tard, Alfano a rompu avec “Il Cavaliere” pour annoncer la création d’un groupe parlementaire, le Nouveau Centre Droit, qui, lui, est resté dans la coalition gouvernementale.

Mais pour le gouvernement Letta le coup de grâce viendra, comme dans la meilleure tradition italienne, depuis son propre parti: le Partito Democratico. Après les élections de février 2013 et l’échec de Pierluigi Bersani dans la formation d’un gouvernement, après la «trahison» d’une partie du parti de centre gauche pendant l’élection du Président de la République, le PD avait tenté de se renouveler et s’était même livré à un exercice sincère d’autocritique. Le protagoniste de ce renouvellement a été Matteo Renzi. Après des années de politique locale (la Provincia, ensuite la mairie de Florence) ce jeune «pressé», selon la définition de la presse étrangère, a émergé comme une nouveauté absolue dans un pays dans lequel la politique a souvent le visage des vieux politiciens qui ne quittent jamais leur poste. Le 8 décembre, Matteo Renzi est triomphalement élu secrétaire du Parti Démocrate. Le maire de Florence remporte 68% des voix exprimées par les trois millions de sympathisants de gauche ayant participé à cette primaire.

On arrive ainsi aux dernières semaines de crise politique: après plusieurs semaines durant lesquelles Letta et Renzi s’opposent de façons de plus en plus explicite (le jeune maire accuse Enrico Letta de reformer trop lentement le pays), le 13 février la direction du Parti Démocrate adopte par 136 voix contre 16 la motion de Matteo Renzi qui appelle à changer de gouvernement afin d’accélérer les réformes. Le lendemain Letta démissionne et le Président de la République, Giorgio Napolitano, après des consultations-éclair, demande, à Matteo Renzi de former un nouvel exécutif.

Et maintenant? Le coup d’épaule de Renzi a laissé de nombreux citoyens sans voix. Si d’un côté l’image de ce jeune leader ambitieux, gagnant, rebelle à l’étiquette, séduit une partie de l’électorat de centre-gauche, de l’autre il s’agit de la troisième fois consécutive que le chef du gouvernement n’est pas l’expression d’un vote démocratique (c’est peut-être le cas de rappeler que l’Italie est une République parlementaire, et les citoyens ne choisissent pas directement le chef du gouvernement), ce qui a provoqué un motif d’indignation dans une bonne partie du peuple italien.

Après des semaines durant lesquelles Renzi avait plusieurs fois rassuré le chef du gouvernement sur le fait qu’il pouvait «travailler tranquillement», son ascension au pouvoir a donné l’impression d’une véritable trahison. Nombreux sont ceux qui se sont levés contre le Président de la République, Giorgio Napolitano, qui a accepté la démission d’Enrico Letta et a désigné Renzi pour former un nouveau exécutif sans jamais faire appel au Parlement. L’Italie est habitué aux changements de chef du gouvernement pendant une législature, mais normalement un chef du gouvernement est obligé de démissionner quand il perd la confiance du Parlement, et non pas celle des dirigeants de son parti.

Pour le moment, il est difficile de juger les actes du gouvernement de Matteo Renzi, car il doit encore choisir ses ministres et demander la confiance au Parlement. Par ailleurs, il est vrai que d’un certain point de vue ce jeune politicien décisionnaire pourrait incarner le changement dont l’Italie, un pays ravagé par la crise et rongé par la corruption, a besoin; mais c’est tout de même inquiétant qu’un jeune qui ambitionne de démolir l’establishment utilise les mêmes magouilles de la vieille politique une fois arrivé au pouvoir. Pour le moment Renzi a annoncé, avec son style très personnel, qu’il allait  reformer le Pays en quelque mois: courage ou pure inconscience?

En outre ce jeune maire au visage sympathique possède aussi de nombreux cotés obscures qui inquiètent l’électorat de gauche. Son individualisme, sa grande ambition, sa grande aisance en matière de communication, dessinent le portrait d’un homme politique d’une nouvelle génération qui a grandi dans l’Italie de Berlusconi, dominée par avec le culte du leader, et qui mesure l’importance de l’image… Enfin, et surtout, sa personnalité alimente la crainte que derrière le visage avenant du jeune «démolisseur» il n’y ait que des vieilles idées…

Gloria Liccioli